Réflexions
Principes d’un traité écologique de la Création
Ce texte reprend l’essentiel du premier chapitre de "Dieu dans la Création" de Jürgen Moltmann, théologien luthérien contemporain. Partant du constat que la crise écologique moderne devant conduire vers un combat entre la vie et la mort de la Création, est une crise de l’Homme même perdu dans sa puissance, Moltmann appelle à un renouvellement de la conception de Dieu et du rapport de l’Homme, son image, à la Création. Il expose dans ce chapitre, les fondements d’une théologie contemporaine de la Création, la nature étant un sous ensemble de celle-ci.
La théologie a longtemps développé l’idée d’une opposition radicale entre Dieu et le monde, entre le Créateur et le créé, entre le sujet et l’objet. Cela a induisait que l’Homme, à l’image de Dieu, se pose également comme sujet -actif- en face (et non avec) de la création perçue comme objet -un environnement passif- à son service. L’Homme a ainsi justifié sa domination sur la nature en se faisant image d’un Dieu avant tout puissant.
La mise en avant de la nature trinitaire de Dieu change la perspective : Dieu n’est plus d’abord le sujet absolu mais la communauté des personnes trinitaires, distinctes tout en entretenaant une union parfaite et une relation permanente. Dans ce cas et par analogie, la relation de Dieu au monde, et par suite celle de son représentant l’Homme à la Création, ne peuvent plus qu’être des relations communautaires, de participation, horizontales et non verticales : cela donne lieu à une théologie communautaire et décentralisée. L’Homme ne doit plus alors connaitre la Création pour la dominer mais pour entrer en relation avec elle.
Voici quelques principes d’une théologie trinitaire de la Création :
1) Connaissance de la matière par participation.
Jusqu’à nos jours, la science moderne à développé une approche analytique du monde consistant à décomposer pour mieux comprendre, à diviser le monde en ses constituants toujours plus élémentaires pour mieux le maitriser. Le répondant politique de cette démarche s’exprime par la formule "divide et impera".
Or les développements récents de sciences telles que la biologie ou la physique nucléaire viennent montrer que la connaissance d’un objet se compose autant des relations qu’il entretient avec son environnement que de sa construction interne.
On peut même dire que des relations qu’il entretient avec le monde environnant, dépendent
les qualités et l’existence, de cet objet. "Vivre, c’est la communication dans la communion".
Ainsi connaitre ne consiste pas à diviser pour maîtriser les parties, mais à entrer dans les relations, les réactions, les rapports de l’être étudié avec son environnement.
Toutes choses créées sont en interaction les unes avec les autres et constituent un ensemble de rapports réciproques . On ne peut comprendre une chose qu’à la lumière des relations qu’elle entretient au sein de cet ensemble.
Il faut comprendre cette réalité comme une "communauté de la Création" (dont la nature n’est qu’une partie) au niveau religieux ou une "alliance avec la nature" au niveau politique.
Connaitre les multiples échanges d’une chose avec le monde demande d’avoir une approche plurielle : ainsi, un traité écologique de la Création doit-il accéder à la Création par du multiples chemins : poésie, sagesse, tradition, sciences, religions...
2) La Gloire du Salut.
La prédication et la résurrection de Jésus Christ font entrer le monde dans un temps orienté vers le Royaume de Dieu, vers la libération des Hommes et de la nature, vis à vis des puissances du négatifs et de la mort.
Une théologie de la Création doit donc être messianique, tournée vers la promesse : elle doit lier la Création présente à un avenir ou les créatures libérées de toute aliénation, formeront une communauté que le judaïsme et le christianisme définissent comme "sympathie entre toutes choses".
3) Le Sabbat de la Création.
Dans la fête su Sabbat célébrée chaque semaine par les juifs, la sympathie universelle est célébrée ensemble avec l’habitabilité de l’existence : on annonce que toutes créatures vivront un jour en paix les unes avec les autres en présence de leur Créateur.
Le Sabbat distingue la Création ( avec une idée d’achèvement dans le repos en Dieu) de la nature (soumise à des cycle, des lois physiques...privée de liberté)
Avec sa résurrection, en continuation de son discours messianique, le Christ annonce le temps déjà là de recréation du monde dans l’éternité, c’est à dire son entrée dans la Paix divine ; il dépasse ou réalise en cela le sabbat qui lui situe cette évenement dans l’avenir.
4) Préparation de la Création en vue du Royaume.
Si la recréation du monde à commencé avec la résurrection du Christ, l’accomplissement de l’existence humaine et de la Création dans son ensemble n’est pas encore arrivé : nous ne sommes pas encore dans la gloire du Royaume. Jürgen Moltann propose donc de considérer qu’avec la venue du Christ, nous sommes entrés dans un temps de grâce avec la perspective de la gloire qui donnera sa pleine existence à la nature. C’est donc le royaume de Dieu futur qui est le principe d’évolution de la nature...
Ainsi le christianisme n’est-il pas l’accomplissement de la Création dans la gloire mais une voie messianique vers cette gloire et il bénéficie déjà avec la nature de la grâce de la résurrection pour cette mission.
Le christianisme est une préparation messianique des peuples et de la nature en vue du Royaume de Dieu.
5) Création dans l’Esprit
Tout ce qui est, existe et vit grâce à l’affluence permanente des énergies et des possibilités de l’Esprit cosmique, de l’Esprit de Dieu : la justification de cette présence se trouve dans le psaume 104, versets 29-30 :
27 Tous ces êtres attendent de toi que tu leur donnes la pitance au temps opportun.
28 Tu la leur donnes, ils recueillent; tu ouvres la main, et ils sont comblés de bonnes choses.
29 Mais détourne ta face, ils sont éperdus; retire ton souffle,
ils expirent et retournent à la poussière.
30 Rends-leur au contraire ton souffle, ils revivent et tu renouvelles la face de la terre.
Dieu demeure dans la Création ; le créé est sans cesse recréé par l’esprit divin. Toute réalité créée est une réalisation des possibilités de l’Esprit Saint.
Calvin soulignait que l’Esprit-Saint est "source de vie" et on peut lire chez le grand théologien Karl Barth :
"Dans l’Ancien et le nouveau testament l’Esprit de Dieu, le Saint Esprit, est en général Dieu lui-même, en ce sens qu’Il peut être présent en sa créature d’une manière tout à fait incompréhensible et , sans cesser d’être Dieu, établir une relation entre elle et lui, et lui donner la vie. La créature a besoin du Créateur pour vivre. Elle a besoin d’être en relation avec lui. Cette relation, elle ne peut la créer elle-même. C’est Dieu qui la crée par sa présence. Dieu, dans sa liberté d’être présent en sa créature, peut instituer cette relation vitale et devenir ainsi la vie de cette créature : c’est en ce sens que la bible parle du Saint Esprit"
... reprenant en cela les actes des apôtres : "en lui nous avons la vie, le mouvement et l’être".
Les relations entre les choses (cf §1) n’existent que par l’Esprit de Dieu ; de même la relation de toutes choses avec Dieu. Il maintient une relation vitale entre Lui-même et toutes créatures et entre les créatures et Lui-même par son Esprit. Toute chose n’existe que par ce jeu de relations et seul l’Espritde Dieu existe "ex se", par lui même.
L’Esprit crée les connexions du monde sans s’identifier à lui ; par la présence de l’Esprit, le monde est ouvert sur un plus que lui même.
6) Immence de Dieu
L’accent avait toujours été posé sur la différence entre la transcendance de Dieu et l’immanence du monde. Or Dieu n’est pas seulement le Créateur mais l’Esprit du monde : le monde est une expression différenciée de Dieu Un dans le multiple (dont un caratère particulier est la biodiversité).
Dieu crée le monde, et sans s’identifier à lui entre en même temps en lui : par son Esprit, il demeure dans la création et reste présent à chacune de ses créatures, lui reste lié dans les épreuves comme dans la Joie. Le monde vit de la force créatrice de Dieu et Dieu vit dans le monde. Ainsi opposer Dieu à la Création ou la Création à Dieu reviendrait à opposer Dieu à Lui-même.
Déjà la théorie juive de la Shékinah rendait compte de cela en affirmant que: "Dieu se détache de lui même pour habiter le monde".
Et tout ce qui advient dans la Création, révèle la présence de l’Esprit ; Moltmann de décrire "Dieu Esprit est aussi l’esprit, l’accord universel , la structure, l’information, l’énergie de l’univers. L’esprit de l’univers est l’Esprit qui procède du Père et qui brille dans le Fils.
Les évolutions et les catastrophes de l’univers sont aussi les mouvements et les expériences de l’Esprit dans la création. C’est pourquoi l’Esprit divin "gémit", d’après Paul, dans toutes les créatures sous la puisssance du néant. Mais l’Esprit se transcende dans toute chose créée ce qui se manifeste dans l’auto-organisation et l’autotranscendance de tous les êres vivants."
7) Interpénétration
Pour Moltmann, toutes les relations fondées sur Dieu, reflètent le rapport existants entre les trois personnes de la trinité : une interpénétration permanente, une vie intense faite de participation réciproque sans confusion entre les personnes.
Jésus l’évoque en Jean 14, 11 : "Je suis dans le Père et le Père est en moi".
L’interrelation trinitaire, mouvement permanent mais quiétude parfaite, constitue le modèle de toutes les relations Dieu-monde, ciel-terre, âme-corps, homme-femme ; c’est un modèle d’inhabitation réciproque. C’est le modèle pour l’Homme de relation à la nature.
8) Esprit et conscience humaine
Pour Moltmann, l’Esprit de Dieu est le mode d’organisation et de communication des systèmes ouverts, de la matière informée à l’univers, en passant par les Hommes et les galaxies.
L’Esprit de Dieu nous relie socialement aux Hommes et il relie les Hommes à l’environnement pour former un eco-système spirituel. Ce dernier est à son tour un sous système du système cosmique et de l’Esprit de Dieu qui y habite.
Et la conscience humaine a pour vocation de s’élargir au plus grand nombre de formations possible de l’Esprit : sociales, écologiques, cosmiques et divine.
Cette compréhension de la Création dans l’Esprit permet de ne plus opposer Création et évolution : il y a évolution de la Création vers le Royaume de gloire. Et il y a Création de l’évolution car celle-ci ne trouve pas son impulsion en elle-même.
D’après Jürgen Moltmann : "Dieu dans la Création"
rapporté par Damien Gangloff
Note de la rédaction : on peut éclairer l’un par l’autre ce texte et la notion écologique d’énergie auxiliaire (Kakapo n° 4).