Editorial
J'entame ces ligne à Sargatskoye - Sibérie occidentale. Les paysages sont devenus vivants et s'expriment en de multiples couleurs pastelles à cette saison de lumières jamais identiques d'un jour à l'autre. On croise tantôt de grandes assemblées de ces cousins de corbeaux nommés "gratch" festoyant sur les restes de moissons avant leur périple hivernal -quelques-uns d'entre eux ne connaîtront pas le départ incorporés qu'ils sont au bitume- tantôt un troupeaux de chevaux au petit matin ou, à demi-assoupies dans les hautes herbes se détachent nettement quelques vaches alors que les chèvres couchées émergent à peine et que plus loin, les moutons ne se laissent que deviner. Là un rapace aux ailes blanches déambulant à la recherche de ses apodemus agrarius, ici des porcs gambadant librement entre champs et forêts ! Ces compositions s’inscrivant dans des espaces immenses ne seront plus observables en France à moins d'une catastrophe de civilisation.
Je lisais pourtant un article de la revue catholique "Mondo Missione", consacré à "l'intégrisme vert". Alors que l'Eglise méconnaît largement le monde de l'écologie et le réduit souvent à quelques-unes de ses expressions particulières, ce genre de titre n’est pas judicieux. Les écologistes y sont représentés avant tout comme ceux qui opposent l'humanité à la nature et considèrent la première comme une tare pour la seconde. On s'y plein, reprenant les termes d'un colloque tenu à New-York en janvier, que les grandes organisations écologistes banissent l'utilisation du DDT favorisant en cela les méfaits de la malaria en Afrique, liée à la multiplication des moustiques.
Certes, l'écologiste chrétien que je suis ne partage pas l'avis que la première mesure à prendre soit d’amputer la natalité dans les pays en développement : mieux vaudrait commencer par vivre plus sobrement et partager les 80 % de richesses que l'occident accapare avec ces pays là. Le discours de limitation des naissance est celui de riches repus et à moitié morts. Pour autant, je trouve simpliste et navrant de défendre encore le DDT.
Les chrétiens doivent savoir si, en tant que prêtres avec le Christ, leur mission est de consacrer l'univers, où simplement l'humanité. Défendre le DDT c'est réduire la mission à la seconde variante et amputer le christianisme, le priver de son amplitude naturelle comme religion.
Oeuvrer pour la Création entière intègre l'attention pour l'humanité(sans même la priver de son rôle particulier) mais remet au Créateur Dieu le primat absolu et la justification de toute chose, de tout choix et de tout acte. Dans le discours chrétien occidental, on a souvent l'impression que ce prima et auto-accordé à la créature Homme par elle-même. Abandonner notre ego humain oblige à pousser la réflexion plus avant et toujours concilier questions sociales et environnementales.
Le "Tout-Homme" sinon, est tout aussi impérialiste et païen que le "tout nature" incriminé par l'article de notre amico italiano.
L'approche chrétienne orientale, rappelant en cela les Pères de l'Eglise et en particulier Maxime le confesseur, souligne que le chrétien ne s'engage pas dans un débat particulier -tel l'utilisation du DDT- avant d'avoir changé son regard sur le monde. Celui-ci doit être avant tout spirituel et reconnaître sinon en (ce qui est ma position de PANEN-théiste et celle de la théorie juive de la Shekinah), au moins à travers toute chose la présence du Créateur : c'est à dire faire de toute chose un sacrement, un relais du visible vers l'invisible. Il devient alors évident de ne plus agir pour le salut de la seule Humanité mais de tout le créé. Heureusement Mondo e Missione propose aussi cette vision.
La C.OR.E. défend cette dernière position et le traduisait à la dernière assemblée générale en appelant tous ses membres à changer son regard sur le monde, voir en toute chose une créature de Dieu comme premier engagement personnel.
Et pour concrétiser l'idée de partage de l'occident avec les pays en développement - en particulier si nous voulons rester crédible dans notre opposition aux limitations de naissances - ne devons nous pas commencer à nous impliquer tous les jours par plus de sobriété dans notre consommation, y compris de voyages, et nos choix ?
Acheter des produits du commerce équitable (à condition qu'ils soient écologiques), utiliser les transports en communs etc... Cela revient plus cher (pas toujours) mais n'oublions pas que les prix des aliments "habituels" ne sont permis que grâce à une pression dictatoriale par l'économie du nord sur le sud et sont le fruit d'un vol (à l'Homme et à la nature car le coût environnemental des pesticides et transports n'est pas pris en compte). Payer plus cher nos aliments biologiques et issus du commerce équitable, c'est en quelque sorte régler plus honnêtement nos comptes et agir selon le 8ème commandemen mais surtout...
Etre JOYEUX selon les béatitudes car : "heureux les affamés et assoiffés de justices", "heureux les persécutés pour la justice" (ici c'est notre porte-monnaie qui sera -un peu- persécuté) !
Et être joyeux d’une joie plus fine et fluide que la possession...
Alors que je corrige cet editorial, 3 mois sont passés, nous sommes à la fête de Dieu présent en ce monde, Noël : bonne fête à tous !
Damien Gangloff